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Le Lensois-Normand Tome 4
4 avril 2015

Le martyre du Docteur Shaffner

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   L’article suivant n’est pas de moi. Il est la reproduction intégrale d’un reportage paru dans le journal DETECTIVE n°465 du 30 mai 1955. Le texte est de Madame Madelaine Laure et les photos de M. Pevsmer.

   Sœur Sainte-Claire est désolée. Sœur Sainte-Claire fonce un front habituellement serein.

-     Docteur, vous n’êtes pas raisonnable. Docteur, vous me faites encore 38°5. Docteur, il ne faut plus voir personne.

-     Mais oui, ma sœur, mais oui, vous avez raison. Je vais me reposer.

   Sœur Sainte Claire sourit, tapote l’oreiller, effleure d’un doigt léger les mais mutilées qui reposent sur le drap, sort et reviens.

-     Docteur, c’est la petite Marie-Thérèse Doult. Elle porte dans ses bras un pot d’hortensia plus lourd qu’elle, mais elle ne veut le donner qu’à vous …

-     Mais voyons ! Faites la vite entrer. Elle va attraper une hernie !

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-    Docteur, vous m’aviez promis …

-    Mais voyons, ma sœur ! C’est ma filleule. Et puis elle n’a que 5 ans. Comment voulez vous expliquer à une enfant de 5 ans que je ne peux pas l’embrasser ? Vous sauriez, vous ?

Vedette involontaire

   Non, Sœur Sainte-Claire ne saurait pas, elle non plus. Elle hoche la tête en soupirant. Elle n’a jamais eu autant de soucis avec un patient. Et aussi parce qu’il est trop aimé.

   C’est comme ça tout le temps.

   La température du docteur Schaffner monte parce que les cœurs autour de lui sont trop chauds.

-        Ce matin, je l’ai rasé en quatre fois, dit M. François Pieckowjack, le coiffeur de l’hôpital. Il y avait toujours quelqu’un qui venait prendre de ses nouvelles. Et naturellement, il refusait de le faire attendre …

-        Docteur, des reporters de Détective.

-        Faites les entrer.

-        Mais docteur, vous avez eu assez de photos et d’articles comme ça. Ma parole, vous devenez comme une vedette de cinéma !

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   Le Docteur sourit. Son magnifique regard se voile d’une merveilleuse douceur. Oui, il a eu assez de photos et d’articles, et même beaucoup trop à son goût.

   Non, il ne se prend pas pour une vedette, bien que ses pauvres mains mutilées aient éclipsé dans la presse une impressionnante histoire d’amour franco-hollywoodienne. Il aimerait bien qu’on ne parlât pas tant de lui, simplement parce qu’il a fait son devoir. Il aimerait bien avoir la paix et penser, puisqu’il en a enfin le loisir, aux problèmes qui le préoccupent.

   Mais il sait bien que l’élan des cœurs envers son martyre accepté part de sources nobles. Il sait bien qu’on a besoin d’exemples comme le sien pour ouvrir les yeux des jeunes gens sur le vrai sens de la vie. Il sait aussi qu’un refus semblerait plus orgueilleux qu’une humble acceptation des servitudes de son apostolat et qu’il décevrait ceux qui l’aiment, l’admirent et veulent le voir glorifier. Et puis …

-     Ils ont été si gentils à Détective. Ils ont été les premiers à parler de notre hôpital, de notre directeur (1) et de moi-même la semaine dernière. Et puis ces reporters font leur métier, ma sœur. Peut-on empêcher quelqu’un de faire son métier ?

Dévoré vif

   Oui, nous faisons notre métier. Il nous déchire le cœur souvent et nous apaise quelques fois. Dans la chambre claire et encombré de fleurs de l’hôpital fleuri dont nous avons déjà parlé pour vanter l’exceptionnelle direction, c’est la sensation de paix qui enveloppe l’émotion douloureuse.

   L’homme qui est là vient de subir sa dix-septième opération en dix ans.

   Dès 1928, il savait qu’il serait déviré vif, lambeau de chair par lambeau de chair.

  Il venait d’être nommé médecin-chef des dispensaires d’hygiène sociale de la région de Lens. Il renonçait en même temps à son alsace natale qu’il aimait si fort et à sa propre sécurité. Il entrait en lutte avec le terrible mal qui frappe les mineurs : la silicose. Pour la combattre, il fallait la déceler à temps grâce à l’examen radioscopique. A cette époque, les appareils de radio n’étaient pas protégés. Il savait que les radiations meurtrières attaqueraient ses mains, jour après jour, sans merci. Il savit aussi que, plus dangereux encore, les rayons mous émis par les malades achèveraient l’œuvre de nécrose.

  En 1929, il fut nommé médecin-chef de l’hôpital.

  Depuis, il a opéré, à trois cents par jour, plus d’un million de radioscopies dont chacune accélérait le lent cheminement de son mal.

  Mais, grâce à lui, des milliers d’hommes vivent.

‘’Tant que j’ai des yeux…’’

   Il dormait quatre heures par nuit, mangeait à des heures impossibles, travaillait sans cesse. Mais grâce à lui des milliers d’hommes connaissent encore la douceur d’embrasser leurs femmes et leurs enfants.

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-     Docteur, deux galibots veulent vous voir …

-     Faites les entrer.

   Deux galibots (apprentis mineurs) sont là. Ils s’appellent Paul Parent et François Pieckowiack.

   Ils apportent des fleurs et une lettre de tous les galibots :

       ‘’ Monsieur le Docteur Schaffner, nous avons appris avec une émotion profonde votre hospitalisation. Nous savons avec quel dévouement, depuis de longues années, vous soignez nos papas …. ‘’

-     Travaillez bien mes petits, dit le docteur, et dites vous que la vie ne peut être belle que si on est utile.

-      Oui, Docteur. Nous n’oublierons pas.

   Ils n’oublieront jamais que l’homme qui est là a donné ses doigts, l’un après l’autre, pour sauver leurs papas.

   Il y a dix ans, on lui a fait la sympathectomie du bras gauche. C’est une opération, qui tente de stopper la névrose. Elle n’empêcha pas l’amputation de l’index, en trois fois, et du médium, en trois fois aussi. Et puis, en 1950, le petit doigt et l’annulaire ont sauté à leur tour.

   Il ne reste plus, de la main gauche, qu’une paume que ronge l’inexorable mal.

   Et puis, le lundi 16 mai, nouvelle sympathectomie, au bras droit, toujours pour tenter d’enrayer la nécrose qui menace la main droite d’amputation.

   Cela ne change rien. Comme l’autre, la main droite sera amputée, phalange après phalange, doigt après doigt.

   Le Docteur Schaffner le sait. Il ne s’en émeut pas …

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-    Tant que j’ai mes yeux pour voir une radiographie …

   Son ainé, Yves, 19 ans, étudiant en médecine, a tenté d’assister à l’opération pour obéir à la volonté de son père. Mais quand le Docteur Schaffner l’a vu blêmir son fils, quand il a senti au seuil de la défaillance, il a dit :

-     Non. La prochaine fois, tu seras plus aguerri.

   Il a trois autres enfants : Jacqueline, 17 ans, qui veut être pharmacienne ; Bernard, 12 ans, qui rêve de plaider en grande robe noire ; et Claude, dit Pinocchio (2), qui désire lui être instituteur.

-     Docteur, il y a une délégation de pompiers. Et puis 4 mineurs de la fosse 14 que vous avez soignés et guéris …

-     Faites entrer.

   Tout Lens voudrait venir au chevet de son bienfaiteur.

   Il est conseiller général, il est maire. Il est avant tout, par-dessus tout, docteur. Compréhensif, humain et de bonne volonté dans toutes ses fonctions.

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   Et on l’aime, et on le respecte, et on pleure ses doigts perdus comme si c’était ses propres doigts.

 

   Mais lui, il sourit :

-     Une vie d’où le risque est absent ne vaut pas d’être vécue. Une vie qui ne comporte pas l’amour des autres hommes est bien misérable …

   On ne saurait dire mieux, ni plus simplement.

(1) Le directeur de l'hôpital de Lens était Monsieur Pierre Morlé

(2) En réalité, le surnom de Claude était Pino. Il est décédé en juillet 2014 (http://lelensoisnormandtome3.unblog.fr/2014/07/18/pour-pino/ )

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C
Respects pour ce grand homme au coeur d'or - Amitié lievinoise -
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